La Ruche, le réseau en action des femmes francophones de Shanghai 

04 février 2015 – Rencontre avec Geneviève Flaven, fondatrice de Style-Vision Asia

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Le parcours de Geneviève Flaven s'est construit autour de projets forts dont Style-Vision, une aventure entrepreneuriale francaise qui devient chinoise, et 99 Women, qui sera, avec l'engagement de La Ruche, une formidable aventure humaine !
Quitter le monde des grandes entreprises et oser l’entreprenariat

Geneviève sort de l’ESSEC et de l’Ecole des hautes Etudes en Sciences Sociales. Elle débute sa carrière au sein de grands groupes : CSC Peat Marwik, Hewlett Packard. Pour faire d’une longue histoire, une courte, entre la gestion des sous-traitants et le contrôle des externalisations de coûts, elle y apprend autant qu’elle s’y ennuie beaucoup. Le fonctionnement de ces grandes entités a  quelque chose de très virtuel…

Et puis, fin des années 90, c’est le début d’internet. L’effervescence de ce début de révolution. La folie des investisseurs attirés par le moindre dotcom et la foison des projets nouveaux qui voit le jour. Un ami lance une start-up et lève 7 millions d’euro. Elle le rejoint dans cette aventure. C’est dynamique, créatif, nouveau et absolument pas rentable… Après un an et demi, la start-up qui a employé finalement près de 70 personnes et n’a jamais rien vendu, fait faillite.

Un échec personnel ? Pas du tout. Un passage libératoire. Cette expérience lui confirme que les grandes entreprises offrent une fausse sécurité qui ne lui convient pas. Elle a besoin d’être en prise direct avec le réel ; d’avoir une réelle capacité d’influer sur le cours des choses ; d’être au cœur de la réalisation. C’est une découverte. Par ailleurs, ce passage en start-up l’amène à vaincre sa peur de créer une entreprise. Car, pour qui ne sort pas de ce milieu, l’entreprenariat peut paraître un grâle inatteignable. Enfin, last but not least, Geneviève rencontre au cours de cette aventure ses quatre futures associées avec qui elle créera Style-Vision.

Style-Vision : une aventure entrepreneuriale française qui devient chinoise.

Le cœur de métier de Style-Vision est l’étude de tendances ; de la prospective en terme de consommation. Autrement dit, aider les créateurs à trouver de nouvelles idées, à faire du design. Le secteur de la mode en France est bouché. Geneviève et ses associées proposent donc d’appliquer sa méthodologie à d’autres secteurs d’activités : l’automobile, les technologies,… La société se développe bien. Il y a une réelle demande et de belles perspectives.

Et puis, c’est la crise financière de 2008… Le grand arrêt. Les entreprises européennes coupent massivement dans leurs budgets d’innovation. Elles tentent de sauver les meubles en consacrant leurs ressources au soutien des ventes. Pour Style-Vision, c’est soit le moment du changement, soit la fin de ses activités.

Rapidement, et peut-être inconsciemment, une décision est prise : sortir de l’Europe en crise et s’essayer à autre chose sur des marchés émergeants. Style-Vision avait établi des contacts en organisant des séminaires sur la consommation du future avec les marchés indiens, coréens et chinois. Ce dernier marché leur semble être celui où elles auraient le plus de valeurs ajoutées. Et pourquoi pas créer en Chine quelque chose autour du monde de la mode ? Un jeu sur le net, par exemple ?

L’année 2009 est une année de transition, de préparation psychologique, d’études de marchés informels… L’année 2010 est marquée par le départ en Chine. L’année 2011 voit le lancement de la plateforme du jeu en ligne… Le jeu réunit 5000 utilisateurs. C’est sympathique mais loin d’être suffisant pour être rentable. Les caisses se vident. A nouveau.

Aller d’échecs en échecs sans perdre son enthousiasme (W. Churchill)

L’erreur commise? L’explication à cette absence de succès? Pour Geneviève, elle est simple : trop de changements effectués en même temps. On ne change pas à la fois de métier, d’industries et de marchés. C’est trop. Cela peut être stimulant et rigolo, mais c’est une erreur de débutant que de vouloir tout modifier radicalement en un seul mouvement.

Mais doit-on finalement parler d’échec ? Ce projet était l’aiguillon nécessaire pour quitter la France. Il faut savoir rêver pour se réinventer. Ce jeu, c’était le prétexte utile, nécessaire pour franchir le pas. Ensuite, certes, le succès commercial n’a pas été au rendez-vous mais l’expérience a permis de comprendre la réalité du marché de la mode en Chine. C’est une étude de marché chère payée mais qui permet à Geneviève et ses associées de se confronter au marché chinois. Internet en Chine, qu’est-ce que cela signifie ? Les goûts des chinois en matière de mode, de quoi parle-t-on exactement ? Quels sont les besoins, les aspirations ? Comment est-ce structuré (ou déstructuré) ?

Dès lors, les caisses sont vides, mais reste ce savoir accumulé et puis un savoir-faire métier bien présent. Style-Vision se repositionne en proposant des services de direction artistique en matière de mode à des sociétés chinoises. Une vraie expertise qui n’existe pas en Chine. L’industrie de la mode a été jusqu’ici centrée sur la copie et la production de masse. L’enjeu de demain est de parvenir à faire évoluer ce modèle industriel vers la création de marques propres et de design « made in China » de qualité. Cet apport en conseils est indispensable pour permettre d’évoluer. Alors ? Doit-on parler d’échec alors que l’aventure initialement imaginée a permis ce nouveau redéploiement d’activités ?

De quoi la mode est-elle le reflet ?

En Chine, le secteur de la mode, c’est d’abord une réalité industrielle. Plus de 100.000 entreprises. Un secteur capital dans l’économie chinoise.

Mais la mode, en Chine comme ailleurs, est d’abord et avant tout le reflet d’évolutions sociologiques. C’est l’expression de l’esprit du temps ; un écho de l’évolution de la société.

Il y a encore très peu de temps, la femme chinoise était sans vestiaire. Au contraire de ses homologues occidentales qui jouent avec une large palette de choix pour exprimer leurs personnalité, leurs humeurs, leurs envies, les chinoises se trouvaient avec une panoplie des plus limitées. En caricaturant, trois styles dominant font la synthèse de la projection de la femme chinoise: l’assexuée Tomboy, la très sexy (qui n’a pas forcément conscience de l’être) et la baby doll. C’est très pauvre et limitatif.

L’enjeu, face à cette société en pleine transformation, est de proposer une offre qui répondent à des attentes plus ou moins exprimées, parfois encore inconsciente. Le secteur de la mode chinois doit deviner la femme en devenir. L’évolution évidente est dès lors d’offrir de la diversité et davantage de qualité. On y vient, petit-à-petit… Le jeans est revisité et perd sa connotation peu noble liée au bleu de travail ; les matières s’améliorent ; le minimalisme fait son apparition ; de même que les motifs éthiques, impossibles à imaginer il y a peu de temps encore…

L’innovation… un grand mot mais en pratique, comment la suscite-t-on ?

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’innovation ne se fait pas à coup de grands brainstormings et de murs remplis de post-it grâce au concours d’esprits créatifs. L’innovation, c’est avant tout le résultat d’un processus, d’une méthode mise en œuvre.

Et bien entendu, cette méthode dépend du substrat socio-culturel dans laquelle elle s’inscrit. Il est impossible d’innover dans les mêmes conditions en occident et en Chine.

En cause ? La capacité de remise en question, l’esprit critique.

Pour schématiser à l’excès, en occident, la marche à suivre consistera généralement à analyser et critiquer ce qui est, à identifier les manques et à imaginer comment les combler à force de propositions et surtout de beaucoup de volonté.

En Chine, une telle méthode est vouée à l’échec. Il n’y a aucune culture de la remise en question. Et au-delà de l’apprentissage d’un mécanisme intellectuel, il y a avant tout une catégorie de langage non connue par les chinois. L’innovation est difficile car elle est avant tout un enjeu de communication.

Pour innover en Chine, il nécessaire d’offrir un cadre proche du cadre scolaire. Il faut sécuriser les individus, les mettre en confiance. Il convient de suivre un protocole précis et de privilégier une guidance très rapprochée en petits groupes. Pour Geneviève, la méthodologie, la précision, et l’acceptation de la lenteur du processus sont les clés de l’innovation en Chine.

Un secteur en devenir, lentement mais certainement

Petit-à-petit, le pays passe du modèle de la « copie intégrale » à la « copie intelligente ». Ce qui est en soi, est déjà un progrès appréciable. Cela signifie une capacité à choisir quoi copier et surtout les compétences pour traduire de façon efficace ce qui doit être copiés.

Et puis heureusement, la Chine, c’est l’empire du nombre et de la masse. Parmi les candidats créateurs, certains finissent par casser le moule dont ils sont issus. Ce sont les plus créatifs et souvent les plus jeunes. Ils se mettent à avoir confiance en eux et deviennent des designers talentueux. Vu l’immensité du marché chinois, des marques de créateurs chinois sur des profils de niches parviennent à établir un business soutenable. Cela reste aujourd’hui des exceptions, mais cela existe et est très prometteur.

D’après Geneviève, la création d’une grande marque de luxe chinoise verra le jour. C’est une certitude. Mais pas avant 20-30 ans. Et Shang Xia ? Hermes fait un pari et un investissement long terme : un jour, les chinois passeront d’un désir de luxe statutaire à une consommation du luxe comme moyen d’expression personnelle. Ils reviendront alors à leur héritage. Mais aujourd’hui, Shang Xia est, pour elle, une marque qui propose des produits de luxe chinois pour occidental. Cette idée de sublimer l’artisanat au travers des créations de luxe est terriblement française ou italienne. Il n’est pas certain qu’une marque de luxe chinoise pour chinoises utilisera les mêmes ressorts. L’avenir nous le dira.

Au delà du conseil en innovation, l’écriture…

Geneviève mène une vie à facettes. L’écriture l’accompagne depuis longtemps. C’est un de ses espaces de vie. Habiter le langage a toujours eu pour elle un caractère vital. L’écriture lui permet de comprendre ce qu’elle voit, ce qu’elle vit. De l’intégrer dans son monde. C’est sa façon de rentrer en relation avec les choses.

Shanghai a encore renforcé ce besoin d’écriture. L’environnement est nouveau et source de stimulations créatives. Parallèlement, ce monde si différent, notamment par son langage, provoque un sentiment d’isolement particulier. Une impression assez étrange de ne pas être reliée à l’univers entourant qui suscite le besoin de se l’approprier par l’écriture. De ce désir d’écrire nait un blog « Shanghai confidentiel », un livre « Shanghai Zen » (éditions Les Xénographes) et bientôt, une pièce de théâtre « 99 ».

99 ou la multiplicité de la femme ?

Au départ, un poème, «Vie et mort de 99 femmes ordinaires », dans lequel Geneviève exprime son ressenti sur la féminité et le rôle de la femme aujourd’hui. Pour elle, « La » femme n’existe pas. On ne peut la réduire à un portrait unique. Il est impossible de définir de façon univoque la femme. Il n’y a que multiplicité.

Ce ressenti est d’autant plus fort à Shanghai. Les femmes y tiennent un rôle particulier et important. Elles y viennent pour y vivre leurs vies. Pour s’affranchir du poids familial et des structures patriarcales de la société chinoise. Il y a une vraie force qui se dégage des femmes à Shanghai, qu’elles soient chinoises ou non.

Geneviève reprend son poème et le retravaille en pièce de théâtre.

C’est « 99 ».  L’ambition ? S’approcher de la réalité des femmes en réunissant 99 personnages féminins venant témoignées d’elles. Elles sont issues de conditions, d’origines, d’âges, de temps différents. Elles sont uniques et en témoigne par un court récit d’elle-même, preuve de leurs singularités.

99 et La Ruche, une mise en commun de compétences et une aventure humaine

Geneviève s’entoure d’artistes professionnels reconnus pour monter ce projet théâtre et en assurer la qualité artistique. Ainsi, Lyz Hingley effectuera un travail photographique sur l’ensemble du making off de cette aventure. La Chorégraphe, Amy Chanapportera tout son talent dans la création des tableaux dansés. Les musiciens, Mindy Ruskovitch et Jojo interprèteront les créations musicales originales de Jordan Kostov.

Après, il faut des femmes…

Et c’est là que La Ruche intervient et fait appel aux talents et aux compétences de ses membres. L’association veut, entre autre chose, permettre aux femmes de se rencontrer et de créer du liens entre elles pour se développer, notamment professionnellement. Les projets collaboratifs de La Ruche sont un moyen. Ils veulent animer et relier les membres réseau en étant dans le « faire ». Leur permettre de se rencontrer dans la mise en œuvre de leurs compétences et de leurs talents.

Lors de la Rencontre autour Geneviève, La Ruche a fait un appel à ses membres pour qu’elles rejoignent 99 et participent à sa réalisation et son succès. Comme actrice ; comme coordinatrices de groupe d’actrices ; comme membre de l’équipe de production. Pour notre plus grand plaisir, elles ont répondu en nombre. C’est évident : ce projet plait.  Il est généreux, ambitieux, créatif et il nous ressemblent. Quelle chance d’être une femme à Shanghai aujourd’hui !

En savoir plus concernant…
  • Les publications de Geneviève Flaven :
    • Les Soeurs Canicule (2009),
    • Suzanna Rizzi (2010), la pièce a reçu le pemier prix du Festival de théâtre de Cannes France (NIACA 2010)
    • Couleur du Roi (2011)
    • Linceuls (2012)
    • Shanghai Zen, (2014).
    • Haiky4you, 51 haikus sur l’été à Shanghai publié sur www.nerval.fr (2014)
    • Son blog, http://shanghaiconfidential.wordpress.com/

Interview : Sandra Edouard-Baraud

Compte-rendu : Hélène Cochaux

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