La Ruche, le réseau en action des femmes francophones de Shanghai 

15 mars 2015 - Christine Leang, auteure, speaker, coach

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D’un continent à l’autre, d’une génération à l’autre

Christine est française d’origine chinoise. Remontons le temps… Ses quatre grands-parents sont nés et ont grandi dans la région de Canton. L’instabilité politique, l’avancée des japonais dans la Chine des années 30 les amènent, comme de nombreux chinois, à trouver refuge dans des pays voisins de cette région d’Asie du Sud-Est: Vietnam, Malaisie, Cambodge…

Dans le cas des grands-parents de Christine, ce sera le Cambodge.

La communauté chinoise réfugiée y est nombreuse. Cette diaspora tient à préserver sa culture. L’empreinte confucéenne est forte. Peut-être, plus forte qu’ailleurs. Les déracinés se raccrochent comme ils peuvent à leurs origines. La communauté a son quartier, ses écoles, ses magasins… Une petite Chine ailleurs. Les parents de Christine y naissent et y grandissent. Son père devient professeur de cambodgien.

En 1970, la guerre civile éclate au Cambodge. Les Khmers rouges prennent le pouvoir cinq ans plus tard. La situation est trouble. Le père de Christine ne fuit pas directement. Lorsque l’armée vietnamienne prend part au conflit, en 1980, les parents de Christine décident de fuir avec toute leur famille en Thaïlande. Ils étaient 19 membres. Seuls 6 arrivent vivants au camp de réfugiés. Christine y nait et y passera ses 3 premiers mois avant que sa famille se voit accorder l’asile politique par la France.

La France était-elle un choix? Pas réellement. Davantage une opportunité. Un hasard du destin. Une tante exilée dès 78 à la recherche de possibles survivants de sa famille les a signalé à la Croix Rouge française.

Grandir en France

Christine grandit avec son frère aîné et ses parents à Aulnay-sous-bois. Son frère et elle sont proches. Pour cause, ils sont les deux survivants d’une fratrie de quatre.

Ses parents travaillent énormément, cumulent les postes pour s’en sortir financièrement. Sans doute, Christine et son frère ont-ils été livrés à eux-mêmes plus vite que d’autres enfants. Mais cette autonomie précoce obligée est compensée par l’exemplarité et la rigueur morale de leurs parents. Eux aussi sont bien décidés à élever leurs enfants en se référant au code confucéen de la diaspora. Les valeurs angulaires de cette éducation ? Le travail, la solidarité, le respect aux anciens et la famille.

A la maison, les Leang parlent d’abord plusieurs langues : des dialectes sud-asiatiques ; le cambodgien, le chinois… Les parents imposeront (visionnaires ?) le chinois au fil du temps. Christine, quant à elle, apprend le français à l’école avec facilité. Son âme est littéraire ; la bibliothèque municipale regorge de trésors gratuits bienvenus ; ses professeurs de langues sont excellents.

Petit-à-petit, sa maîtrise du français l’amène à jouer un rôle de passerelle ou de passeuse entre son monde familial et le monde extérieur, la France et les français.

Se chercher en Chine

A 15 ans, Christine effectue avec ses parents un voyage touristique en Chine. Elle est marquée par cette impression étrange d’être française au faciès asiatique. Ou Asiatique à l’âme française. Cet étrange sentiment laisse une trace durable en elle. Ce voyage marque probablement le début de sa quête d’identité.

Le temps passe. Christine étudie les langues à l’université. En 2005, son désir de Chine est plus fort que jamais. Jeunesse ? Désir de liberté et d’indépendance ? Envie de revenir sur ses racines ? Quête d’elle-même ? Les motivations sont floues à l’époque.

Pour rejoindre la Chine, elle entame un programme de MBA qui offre l’opportunité de vivre un semestre d’échange dans une université à Shanghai et six mois de stage en entreprise. Elle se lance dans l’aventure. Une aventure d’un an qui va en durer 10 !

L’arrivée est une claque. Entre Christine et les Chinois de son âge, il y a un gouffre. Le Chinois n’est pas le même ; cette génération d’enfants uniques biberonnée à l’heure du décollage économique de la Chine fonctionne de façon affreusement individualiste et opportuniste; les valeurs de référence de Christine sont davantage celles de leurs parents que les leurs… Il est loin d’être évident de s’identifier à cette jeunesse chinoise. De s’y sentir reliée.

Christine s’accroche. Son diplôme en poche, elle décide de rester en Chine. Son trilinguisme facilite son embauche comme Event Manager pour Mr&Mrs Bund. Le milieu de la restauration gastronomique. Elle a 25 ans. C’est un monde dont elle ne connaît rien. C’est la nuit, cela vend du rêve, de la fête, du luxe, du glamour… C’est éblouissant et attirant. Elle se lance. La nuit perd cependant de son « glam » pour ceux qui y travaillent. Une année en vaut dix. Certes, ce qui ne tue pas rend plus fort… mais le prix à payer est cher.

Après trois ans d’une vie étrange, Christine, épuisée, tombe malade et revient en France se soigner auprès des siens. Durant 6 moins, elle prend du recul. Elle s’interroge sur cette perte d’elle-même dans la nuit shanghaienne et, sur les possibles choix qu’elle ferait si une seule année lui était encore donnée à vivre. Se dessine de plus en plus clairement l’écriture. Ecrire pour raconter. Etre la passeuse d’histoires. Mettre en mots les non-dits familiaux. L’impossibilité de parler de leur vécu avant la France. L’histoire du père. Son rôle politique au Cambodge… Finalement endosser autrement ce rôle de facilitatrice qu’elle avait si aisément prise adolescente pour les siens.

A ce stade, la voie est encore floue. On ne se décrète pas écrivain. Mais l’envie d’écrire est reconnue et Christine décide d’écouter ce désir qui est en elle.

« Embarquement pour la Chine », un premier livre

Christine retourne à Shanghai. Son plan ? Récupérer ses affaires et s’offrir une année de voyage en Asie. Du temps pour vivre et pour écrire. Ce projet est aussitôt contrarié par plusieurs propositions de travail sur Shanghai. Les finances n’étant pas flamboyantes, le voyage est postposé.

Christine travaille d’abord dans le management de transition pour Newbridge Partners, en même temps qu’elle rejoint monte l’édition shanghaienne du Petit Journal en endossant le rôle de rédactrice en chef. Les deux missions ont ceci en commun qu’elles lui permettent de dégager du temps pour l’écriture.

Et cela tombe bien, car un projet concret lui est proposé par un éditeur anglo-saxon basé à Hong Kong, cherchant à se faire sa place parmi le lectorat francophone. Spécialisée dans les ouvrages sur la Chine ancienne, la maison d’édition souhaite toucher la communauté francophone de Chine en éditant un livre historique sur les premiers français ayant vécu et voyagé dans l’Empire du milieu.

Christine n’est pas une historienne. Un angle d’attaque particulier doit être adopté pour pouvoir écrire ce livre. Comment le rendre original ? Comment susciter l’envie chez le lecteur de se pencher sur ses destins ? Elle décide de s’attacher aux personnes, aux parcours, à ce que la Chine a modifié en eux, à ce que cette expérience d’ailleurs peut apporter d’universel à chacun et transformer ses personnes en particulier.

Le travail d’écriture est long. Parfois difficile. Mais Christine arrive au bout et remet son manuscrit début 2011 à son éditeur, comme convenu. Mais celui-ci lui fait faux bond. Le manuscrit restera dans un tiroir pendant 2 ans, jusqu’en janvier 2013, lorsque Christine rencontre le fondateur des éditions Pacifica, dont le siège est à Paris.

Quand l’élève est prêt, le maître apparaît…

Ce voyage en Asie, Christine considère qu’elle l’a maintenant bien mérité ! Manuscrit remis, elle démissionne et s’en va sur les chemins de Chine. Sa route s’arrêtera dans le Guangxi. à Yangshuo.

La seule bâtisse sur des kilomètres à la ronde à avoir encore des chambres libres est une école de Taiji, sur laquelle Christine tombe par hasard. La chambre est à elle, si et seulement si Christine s’engage à faire un stage de Taiji d’une semaine minimum. Elle n’en a jamais fait. A priori, elle considère cette pratique issue de techniques de self-défense comme lente, vieille et ennuyeuse. Rien n’aurait dû la pousser à ouvrir cette porte et à s’inscrire à ce stage. Et pourtant….Christine y restera élève pendant un an.

Le Taiji est une découverte qui transforme sa vie. Le Taiji, c’est le changement dans le mouvement ; la répétition comme travail physique du dépassement de soi ; l’activation de flux d’énergie inconnue ; le déblocage de schémas vitaux. Pour Christine, c’est une nouvelle porte vers la connaissance d’elle-même.

Elle n’a pas le premier franc pour payer cette année de formation. Son maître n’en a cure : il refuse de fermer la porte à quelqu’un qui veut apprendre. Il l’interroge sur ce qu’elle sait faire et lui demande de se rendre disponible pour la communauté de l’école. Il lui fait faire également la promesse d’un jour transmettre ce qui lui aura été transmis.

Transmettre à son tour

L’apprentissage a une fin. L’élève quitte son maître et retourne sur Shanghai.

Blog sur le Taiji, écriture en freelance… Les fins de mois ne sont pas simples, mais sereinement accepter. Sa voie aujourd’hui est de transmettre ce qu’il lui a été transmis. Changer de posture et aider l’autre sur son chemin. Bibliothécaire au lycée français, coach en écriture et en Taiji, conférencière à la verve convaincante, Christine prépare aujourd’hui son prochain livre.

Plus d’informations sur

www.christineleang.com

Christine LEANG, « Embarquement pour la Chine. Histoires et destinées françaises dans l’Empire du milieu». Editions Pacifica. 2013.

Interview : Sandra Edouard-Baraud

Compte-rendu : Hélène Cochaux

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