La Ruche, le réseau en action des femmes francophones de Shanghai 

13 janvier 2015 - Magali Anderson, Production Center Manager China chez Schlumberger

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Et elle rêva de devenir ingénieur terrain…

Peu de petites filles rêvent de devenir ingénieur terrain pour un groupe pétrolier et Magali n’était pas différentes des autres…

Ces hommes et (quelques rares) femmes qui partent souvent seuls, loin de chez eux, sur des plateformes on-shore et off-shore mesurer la taille des puits et de leurs réservoirs ; qui acceptent de travailler 50 heures d’affilées car chaque heure de mesure nécessite l’arrêt de l’activité d’extraction qui coûte à l’entreprise au bas mot 1 million de dollars par jour ; qui n’ont pas droit à l’erreur car, de la mesure des puits dépendent leurs valeurs et donc, au final, la valorisation de la société qui les exploite… Qui rêve d’assumer de telle responsabilité dans un contexte physiquement et psychiquement si difficile ? Quel profil a-t-on pour avoir envie de relever ce défi ?

Magali a toujours été très active, avec un caractère légèrement « tête brulée ». Ce qui est technique l’attire et elle fait une école d’ingénieur, l’INSA à Lyon. Elle a peur de la routine et se rend compte au fil de jobs étudiants, qu’elle supporte très difficilement l’autorité. Deux points importants dont elle tiendra compte dans son choix de carrière. Quand une connaissance lui explique les tenants et aboutissants de la fonction d’ingénieur terrain, c’est une évidence : c’est cela qu’elle veut faire. Partir sur le terrain.

Du rêve à la réalité

Elle se présente chez Schlumberger lors d’un forum emploi organisé par son université. Le recruteur la dévisage, la scrute de haut en bas et lui oppose un refus lapidaire : c’est non ! Magali peut être tête brulée mais aussi tête de bois ! Sans explication de ce refus, elle ne bouge pas et le fait bien comprendre à ce recruteur. Un entêtement qui paie et l’amène à une première session de recrutement.

On est à la fin des années 80. A cette époque, moins d’un pourcent de femmes postulaient pour ce type de métier. Schlumberger n’était pas tant opposé aux femmes que perdu face leurs apparitions dans ce secteur d’hommes. Ceci explique des questions aussi saugrenues que « que pense votre maman de ce métier ? », lors du processus de recrutement de Magali. Des questions que l’on ne pose bien évidemment plus aujourd’hui et que l’on n’a certainement jamais posées à un homme !

Une fois recrutée, Magali participe, en préalable obligatoire avant tout envoi sur le terrain, à une formation de 3 mois organisée par l’entreprise. La formation est extrêmement éprouvante physiquement, moralement et intellectuellement. Seuls les plus résistants partent sur le terrain. Ils ne sont pas nombreux à la terminer.

Magali en est et, en juillet 89, elle part pour Warri au Nigeria. Elle a 22 ans. Elle connaît  peu l’Afrique et pas du tout Warri. Seules 3 femmes issues de Schlumberger sont basées en Afrique. Magali est la seule femme blanche de la ville. Et, faut-il le rappeler ? A l’époque, pas de facebook, de Skype, de mails, de mobiles… Les amis et la famille sont vraiment loin.

 

Etre honnête avec soi-même et s’adapter

Ses collègues masculins l’accueillent plutôt bien. Certes, c’est un milieu d’hommes travaillant dans des conditions difficiles. Il y a peu de solidarité et d’entraide mais ils sont plutôt contents de voir apparaître une femme dans l’équipe.

Pourtant, Magali ne perçoit pas cette empathie à son égard et adopte une attitude qui la rend rapidement détestable. Elle veut tant prouver aux autres ses compétences et ses aptitudes qu’elle en devient imbuvable. Elle est convaincue que l’on doute de sa légitimité. A force de croire qu’en tant que femme tout est à prouver, elle en vient à prendre des marques d’attentions polies ou courtoises pour de la condescendance. Résultat ? Elle se retrouve isolée et fort malheureuse.

Soit elle change. Soit c’est l’échec. Heureusement, Magali est capable de se remettre en  question. Une telle unanimité dans l’aversion qu’elle suscite ne peut être dûe au hasard. Elle prend conscience qu’elle doit modifier ses comportements. Elle s’adapte. S’assouplit. Prend confiance en elle et laisse les autres lui apporter leurs soutiens.

Cette prise de conscience change la donne. Si bien, que Magali rencontre son futur mari, employé lui aussi chez Schlumberger.

L’entreprise à l’époque n’a pas de politique de gestion de double carrière et tente d’évacuer le problème que lui pose ce jeune couple : les séparer en les transférant dans deux parties différentes du monde. Magali s’était toujours dit que jamais un homme ne viendrait se mettre en travers de sa carrière. Considérant cependant qu’elle a mis trois mois pour obtenir un premier poste, et plus de 20 ans pour trouver l’homme avec qui elle veut faire sa vie, elle refuse ce transfert et se fait licencier.

Oser l’inconnu et se dépasser

La volonté du couple est de rester au Nigeria. Magali cherche un poste se voit offrir la possibilité de seconder le chef de base d’une entité d’Entrepose. La société est un équipementier. Elle ne connaît rien au secteur, ou presque. Une semaine après sa prise de poste, le chef de base fait une crise cardiaque et elle doit le remplacer dans sa fonction au pied levé.

La voilà seule, sans trop de support de la maison mère, à diriger une entité de 120 personnes. Elle a tout juste 25 ans; c’est une femme et elle est blanche ! Elle est évidemment testée par le personnel. C’est de bonne guerre. Mais ce n’est plus tout-à-fait une bleue, elle apprend vite et, surtout, réagit vite. Ses années précédentes en Afrique lui ont permis de décoder les codes d’autorité de la région et de les manier à son avantage. De façon intuitive, elle adopte un type de management basé sur la carotte et le bâton. Elle se sait exigeante mais respectée. Notamment, et cela restera une constante durant toute sa carrière, parce qu’elle n’a pas peur de reconnaître ses erreurs et de s’en excuser le cas échéant.

Magali reste finalement cinq ans au Nigeria. Enceinte, elle souhaite accoucher sur le sol français. En deux ans, elle y mettra deux enfants au monde tout en occupant le poste de proposal manager pour Entrepose.

S’essayer à autre chose pour pouvoir repartir

Son mari a des perspectives en Indonésie. Magali, déterminée à le suivre, se voit offrir la possibilité de prospecter le marché indonésien pour y développer les activités d’Entrepose. Nous ne sommes plus sur le terrain. C’est un travail relationnel. Le monde pratico-technique des ingénieurs est loin. L’opérationnel encore plus. Magali découvre le monde si peu concret de la représentation et du lobby dans l’univers très particulier du pétrole. Est-ce pour lui plaire ? Pas vraiment. La crise asiatique de 98 met fin à l’aventure.

Magali retrouve un poste chez Schlumberger, pour qui elle travaille d’abord comme contractuel en charge de la Supply Chain en Indonésie. Mais un changement de manager, la compréhension que son poste ne deviendra pas permanent et le départ de son mari fait qu’elle démissionne pour rentrer en France. Elle retrouve rapidement du travail chez Bouygues offshore (actif dans le même domaine d’activités qu’Entrepose), comme Proposal manager. Cette aventure prend fin car, malgré des demandes répétées pour retourner sur le terrain, elle se rend compte que l’entreprise, très hiérarchisée, n’a pas pour politique d’y envoyer des femmes. Ce constat fait, elle ne voit plus d’avenir pour elle chez Bouygues Offshore

Prendre des risques et se rendre visible

Magali retourne frapper à la porte de Schlumberger. Depuis qu’elle a quitté l’entreprise, pratiquement 10 ans plus tôt, celle-ci a bien changé. Une politique de gestion de double carrière est mise en place au profit des couples au sein de l’entreprise et on y trouve vingt à trente pourcents de femmes. Autre constat : son réseau au sein de l’entreprise est à recréer. Elle n’y connaît plus grand monde…

Magali s’occupera, de 2001 à 2004, de la création et de la mise en place pour Schlumberger d’un département Supply Chain. Tout est à faire. C’est passionnant. Ensuite toujours à Paris, elle change de fonction et s’occupe du centre de manufacture d’outils.

On est toujours loin du terrain qui lui manque. Pour y retourner, elle doit se rendre visible, marquer les esprits, sortir du lot. Le secteur pétrolier est alors en plein boum. Un boum dont elle ne perçoit aucune trace dans ses carnets de commande !

Se rendre visible, c’est aussi oser prendre des risques. Arguant de la plus que probable explosion du marché, elle propose à son responsable de doubler le plan de commande. C’est un pari de 40 millions de dollars, dans une entreprise qui n’a pas la culture du risque. Un pari que son patron relève avec elle. Un pari qui surtout s’avère gagnant. Le boum est là. Le centre de Clamart au contraire des autres centres de manufactures dans le monde, peut répondre à une demande qui explose. Le pari gagné, Magali Anderson sort également de l’ombre et se voit propulsée en avant.

 

Accepter les promotions en se sentant légitime

Une promotion en amène une autre. Chaque poste est le passage obligé d’un échelon supérieur. Plus les postes sont hauts dans la hiérarchie, plus ils deviennent politiques. Les personnes compétentes à ce niveau sont légions. Parfois, seule un critère vient faire la différence. Etre une femme peut parfois être ce critère. Ce fut parfois son cas.

Cela commence avec la nomination de Magali en 2006 comme directrice pays en Angola. Elle ensuite, dès 2007, propulsée au poste de Directrice Europe. Elle supervise 33 pays en Europe continentale. Deux ans plus tard, on lui propose le poste de VP marketing pour la région Europe-Afrique. C’est la dernière marche avant d’être nommée président.  C’est un poste bien au-delà de ce qu’elle aurait rêvé dans le meilleur des mondes.

En prenant du recul, Magali explique qu’elle s’est toujours sentie légitime pour chacun de ces postes. Elle constate que trop de femmes refusent, voire n’osent même pas demander (imaginer ?), une promotion (tout comme une augmentation) pour un poste supérieur, dès lors qu’elles n’ont pas toutes les cartes mains. Une attitude regrettable et presque orgueilleuse. Pour elle, lorsqu’une entreprise offre un poste à quelqu’un, c’est que fondamentalement celle-ci considère la personne comme apte pour celui-ci. Aucune société n’est assez sotte que pour promouvoir un(e) incompétent(e).

Lorsque tout bascule, il faut se recentrer sur soi.

Tout aurait pu continuer ainsi et, plus que probablement Magali, serait devenue l’un des présidents de Schlumberger. Pourtant, la combinaison de trois facteurs modifie profondément la donne. Tout d’abord, Schlumberger a un nouveau président. L’époque a changé. L’entreprise mettait avec le précédent les individualités en avant ; le nouveau se centre sur les mises en place et l’application de process ; les réductions coûts. La culture d’entreprise évolue. Ensuite, et dans la foulée, l’entreprise restructure son organisation interne. Conséquence directe pour Magali, elle change de poste et devient Vice-présidente des services partagés pour l’Europe et l’Afrique. Nous sommes en 2011. Enfin, et c’est lié au changement de poste, Magali rapporte à un nouveau responsable.

Un homme dont elle ne partage pas les valeurs. Un homme surtout qui lui fera subir un harcèlement moral permanent.

L’homme est connu pour ne pas être commode. Mais tant le tempérament de Magali que son parcours et ses succès ne permettaient pas le moins du monde d’imaginer qu’elle pourrait souffrir un jour d’harcèlement. Tout le monde a été surpris. Elle en premier lieu. Malgré le soutien de la majorité de ses collègues, elle perd pied. Lentement. Le processus est pernicieux. Comme toujours. Mais elle sent poindre les signes de la dépression et se rend compte qu’elle ne peut compter que sur elle pour sortir de cette situation. Il faut qu’elle bouge avant de perdre tant confiance en elle qu’elle n’en soit plus capable. Soutenue par les ressources humaines, elle change de fonction et devient Vice-Présidence pour la maintenance. C’est une bouffée d’air mais ce n’est pas suffisant. Elle continue de croiser son harceleur quotidiennement.

Magali entame alors une réflexion solitaire… Elle regarde qui elle est et l’évolution de la société pour laquelle elle travaille. Veut-elle vraiment devenir Président ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Qu’est-elle prête à sacrifier ? Y sera-t-elle heureuse ? Pourquoi croit-elle en avoir besoin … Ses réflexions l’amènent à la conclusion qu’elle a atteint son pic de carrière à 47 ans. Elle ne veut pas aller plus haut.

Un poste opérationnel comme directeur d’usine en Chine se libère. C’est à Qingpu. Une usine de 800 personnes. Un retour vers du concret. Elle saisit l’occasion et prend un nouveau départ en avril 2014 dans un pays-continent dont elle a tout à découvrir…

Etre une femme, avoir un rôle modèle en tant que telle et promouvoir des femmes

Magali a pris ses marques et apprécie le dynamisme de ses équipes chinoises. Elle a été très surprise quand, à son arrivée, on lui a fièrement fait savoir que 50% des cadres de l’unité de production étaient des femmes. A y regarder de plus près, pas une en première ligne et si peu en seconde…

Magali croit au rôle modèle et assume ce rôle qu’elle peut avoir pour d’autre. Oui, les femmes peuvent faire carrière, avoir une vie de couple épanouie et élever des enfants Elle s’emploie promouvoir ce modèle et est fière d’avoir déjà promu depuis sont arrivée à Shangahi une femme chinoise au sein de sa première ligne de management. D’autres suivront sans doute.

Pour Magali, cela ne fait pas de doute : pour faire évoluer la culture d’entreprise quant à l’intégration des femmes, les quotas sont un plus. Du moins, au démarrage. Il faut un objectif quantifiable pour faire bouger les lignes. Deux raisons principales à cela : les femmes, d’abord, qui doutent trop de leurs légitimités et n’ont pas suffisamment confiance en elles pour se projeter dans des promotions ; le système, ensuite, qui tend à se reproduire et qui promeut plus facilement ce qui lui ressemble. La mixité des équipes nécessite une politique chiffrée, et régulièrement évaluée. Une fois que le pli est pris, les quotas peuvent être supprimés.

Magali applique en Chine les mêmes recettes de management qu’elle a toujours appliquées. Elle travaille énormément, en partenariat avec ses équipes. Elle fait ce que toute équipe attend dans toute entreprise de la part de son chef : elle prend des décisions et accepte de pouvoir se tromper. Car pour elle, c’est la façon dont un chef gère l’aspect décisionnaire qui fait de lui un bon ou un mauvais manager. L’essentiel est de pouvoir être clair sur son cap, de le maintenir avec energie et bon sens, de rester ouvert à la critique et d’accepter lorsque l’on se trompe de le reconnaître et de s’en excuser. C’est une question de respect. Respect de soi. Respect des équipes.

Etre soi-même et se respecter.

La suite ? Et bien… L’avenir nous le dira. Magali a plein de projets et d’envies. Promouvoir les femmes en les conseillant, en les informant… Partager son expérience, et notamment son harcèlement, prévenir, faire des conférences et prendre des risques autrement…

Une chose est certaine,  elle continuera son blog :  http://lapetroleuse.free.fr/

 

Interview : Sandra Edouard Baraud

Compte-rendu : Hélène Cochaux

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